Les 10 premières années à Vienne.
Le Testament de Heiligenstadt.
La lettre à l'immortelle bien-aimée.
Le 6 juillet au matin.
Mon ange, mon tout, mon moi - quelques mots seulement aujourd'hui et
même au crayon (avec le tien) - ce n'est pas avant demain que
mon logement sera définitivement arrêté - quelle
misérable perte de temps pour de telles choses : mais pourquoi
ce profond chagrin alors que la nécessité parle - notre
amour peut-il exister autrement que par des sacrifices, par
l'obligation de ne pas tout demander, peux-tu faire autrement que tu
ne sois pas toute à moi et moi à toi '
- Ah Dieu, contemple la belle nature et tranquillise
tes esprits sur ce qui doit être, - l'amour exige tout et avec
toute raison, ainsi en est-il de moi avec toi, de toi avec moi, -
mais tu oublies si légèrement que je dois vivre pour
moi et pour toi - si nous étions tout à fait
réunis, tu éprouverais aussi peu que moi cette
douleur.
- Mon voyage a été terrible ! je ne suis arrivé
ici qu'hier à 4 heures du matin ! Comme on manquait de
chevaux, la poste a pris une autre route, mais quel chemin
épouvantable ; à l'avant-dernier relais, on me
conseilla de ne pas voyager de nuit - on me parla, pour m'effrayer,
d'une forêt à traverser, cela n'a fait que m'exciter, et
j'ai eu tort, la voiture aurait dû se briser dans ce terrible
chemin, simple chemin de terre défoncé sans des
postillons comme ceux que j'avais, je serais resté en
route.
Esterhazy, par l'autre chemin ordinaire, a subi le même sort,
avec huit chevaux, que moi avec quatre - pourtant j'ai
éprouvé un certain plaisir, comme toujours quand j'ai
heureusement surmonté un obstacle.
- Maintenant vite revenons de l'extérieur à l'intérieur ! nous nous reverrons sans doute bientôt, aussi aujourd'hui je ne peux te faire part des observations que j'ai faites sur ma vie pendant ces quelques jours - si nos coeurs étaient toujours serrés l'un contre l'autre, je n'en ferais pas de pareilles. Le coeur est trop plein pour pouvoir te dire quelque chose - ah ! - il y a des moments où je trouve que la parole n'est absolument rien encore - égaye-toi - reste mon fidèle, mon unique trésor, mon tout, comme moi pour toi ; quant au reste, les dieux décideront de ce qui doit être et de ce qui adviendra pour nous.
Ton , fidèle, Ludwig.
Lundi soir 6 juillet.
Tu souffres, toi mon être le plus cher - à l'instant
j'apprends que les lettres doivent être remises de très
grand matin. Lundi - jeudi - les seuls jours où la poste part
d'ici pour Karlsbad -
Tu souffres - ah, là où je suis, tu es
aussi avec moi, avec moi et toi, je ferai que je puisse vivre avec
toi,
quelle vie ! ! ! ! ainsi ! ! ! ! sans toi - poursuivi ici et
là par la bonté des hommes que je désire aussi
peu mériter que je la mérite - humilité de
l'homme devant l'homme, - elle m'afflige - et quand je me
considère dans l'ensemble de l'univers, que suis je, et qu'est
celui - qu'on appelle le plus Grand - et pourtant - là encore
est l'élément divin de l'homme - je pleure, quand je
pense que tu ne recevras vraisemblablement que samedi la
première nouvelle de moi - quel que soit ton amour pour moi,
pourtant je t'aime encore plus fort - mais ne te cache jamais de moi
-
Bonne nuit - comme baigneur il faut que j'aille
dormir.
Ah Dieu - si prés ! si loin ! N'est-il pas un véritable
édifice céleste, notre amour mais aussi solide que la
voûtes du ciel.
Bon matin, le 7 juillet - au lit les pensées se pressent déjà vers toi, mon immortelle Bien-Aimée, parfois joyeuses, puis de nouveau tristes, demandant au Destin s'il nous exaucera.
-Vivre, je ne le peux qu'entièrement avec toi ou pas du tout, j'ai même résolu d'errer au loin jusqu'au jour où je pourrai voler dans tes bras et pourrai me dire tout à fait dans ma patrie auprès de toi, puisque, tout entouré par toi, je pourrai plonger mon âme dans le royaume des esprits. - Oui, hélas ! il le faut - tu te résigneras d'autant mieux que tu connais ma ,fidélité envers toi, jamais aucune autre ne peut posséder mon coeur, jamais - jamais -
ô Dieu, pourquoi faut-il s'éloigner de ce qu'on aime ainsi , et pourtant ma vie à Vienne : maintenant est une vie misérable - ton amour a fait de moi à la fois le plus heureux et le plus malheureux des hommes - à mon âge maintenant j'aurais besoin d'une certaine uniformité, égalité de vie - peut-elle exister, étant donné notre liaison ?
Ange, je viens d'apprendre que la poste part tous les
jours - et il faut donc que je m'arrête afin que tu
reçoives cette lettre tout de suite. - Sois calme, ce n'est
que par une contemplation détendue de notre existence que nous
pourrons atteindre notre but, qui est de vivre ensemble - sois calme
- aime-moi - aujourd'hui - hier - quelle aspiration baignée de
larmes vers toi - toi - toi - ma vie - mon tout - adieu.
-oh ! continue à m'aimer - ne méconnais jamais le coeur
très fidèle de ton aimé L.
éternellement à toi
éternellement à moi
éternellement à nous.